Dictionnaire de droit de la concurrence

Qu’est-ce qu’une “procédure d’infraction” ? 

Découvrez la définition rédigée par notre associée, Loraine Donnedieu de Vabres-Tranié, et Morgane de Walsche.

Cette définition fait partie du premier Dictionnaire de Droit de la Concurrence lancé par Concurrences sous la direction du Professeur Muriel Chagny (UVSQ Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines ) et Emmanuel Combe (Autorité de la concurrence), disponible au lien : https://www.concurrences.com/fr/dictionnaire/

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La procédure d’infraction est une voie de droit qui vise à faire constater par la Cour de Justice de l’Union européenne le manquement d’un État membre à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités afin qu’il y remédie. Des procédures de manquement spécialisées fondées sur un régime dérogatoire s’ajoutent également à cette procédure générale, telle que la procédure simplifiée applicable au contrôle des aides d’État (article 108 TFUE).

La procédure générale :

La procédure « générale » d’infraction, également appelée procédure en manquement, prévue aux articles 258, 259 et 260 TFUE, peut être engagée à l’encontre d’un Etat membre par la Commission européenne ou par tout autre État membre. Le déroulement de cette procédure s’articule autour de deux phases successives. Lors de la phase précontentieuse, la Commission adresse à l’État concerné une lettre de mise en demeure identifiant les violations présumées et fixant un délai de réponse pour l’État. Si la réponse de l’État ne convainc pas la Commission, elle peut alors discrétionnairement décider d’émettre un avis motivé par lequel elle enjoint à l’État de se conformer à ses obligations dans un délai qu’elle fixe. Si, à l’échéance de ce délai, l’État n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin au manquement, la Commission peut alors saisir la Cour de justice de l’Union européenne. La procédure contentieuse ainsi initiée pourra aboutir à un arrêt de constat de manquement auquel l’État membre devra se conformer. En cas d’inexécution de cet arrêt, la Commission peut de nouveau saisir la Cour après avoir mis en demeure l’État concerné afin qu’elle constate un « manquement sur manquement » et qu’elle prononce une amende et/ou une astreinte de nature à sanctionner et dissuader l’État contrevenant (art. 260 §2 TFUE).

En matière de pratiques anticoncurrentielles, la procédure en manquement est peu sollicitée dans la mesure où, en vertu de l’article 106 §3 TFUE, la Commission est compétente pour veiller au respect des règles de concurrence par les États lorsqu’ils agissent en tant qu’entreprises publiques ou qu’ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs à une entreprises privées et peut leur adresser directement des décisions appropriées. Néanmoins, il existe un cas de recours en manquement ayant conduit la Cour à constater une violation de l’article 85 CE (devenu article 101 TFUE) lu en combinaison avec l’article 5 CE (devenu 4 §3 TUE) dans un arrêt du 18 juin 1998, Commission c/ Italie, aff. C-35/96 (v. infra « pour en savoir plus »). En matière de contrôle des concentrations, la Cour n’a également constaté l’existence d’un manquement que dans un seul arrêt, à l’encontre de l’Espagne, pour irrespect d’une décision préalable de la Commission autorisant une opération de concentration sans conditions (CJCE, 6 mars 2008, Commission c/ Espagne, aff. C-196/07).

La procédure simplifiée de l’article 108 TFUE :

En vertu de l’article 108 §1 TFUE, la Commission est compétente pour examiner les régimes d’aides existant dans les États membres, et peut, en vertu du paragraphe 2 du même article, constater l’incompatibilité d’une aide avec le marché intérieur sur la base de l’article 107 TFUE. Si l’État membre ne se conforme pas à la décision lui enjoignant de supprimer ou modifier l’aide en cause dans le délai imparti, la Commission ou tout autre État intéressé peut, par dérogation aux articles 258 et 259 TFUE, saisir directement la Cour dans le cadre d’une procédure simplifiée prévue à l’’article 108 TFUE. Toutes les parties intéressées, et pas seulement à l’État membre concerné comme c’est le cas dans le cadre de la procédure de manquement de droit commun, peuvent présenter des observations (CJCE, 4 février 1992, British Aerospace and Rover c/ Commission, aff. C-294/90).

A la demande d’un État membre, le Conseil, statuant à l’unanimité et par dérogation à l’article 107 TFUE, peut décider que l’aide doit être considérée comme compatible si des circonstances exceptionnelles justifient une telle décision. Le Conseil ne peut plus le faire si une décision de la Commission a constaté l’incompatibilité de l’aide en question.

Devant la Cour, et dès lors qu’une aide a définitivement été déclarée incompatible, les États ne peuvent invoquer qu’un seul moyen de défense tiré de l’impossibilité absolue d’obtenir le remboursement d’une aide incompatible (CJCE, 23 février 1995, Commission c/ Italie, aff. C-349/93). Cependant, cette exception est encadrée par des conditions strictes (les difficultés doivent être « imprévues et imprévisibles ») et est soumise à une obligation de coopération loyale avec la Commission, raison pour laquelle elle est rarement retenue par la Cour.

Concernant l’articulation entre la procédure générale et la procédure spécifique, si l’existence de la seconde ne fait nullement obstacle à ce que la compatibilité d’un régime d’aide au regard de règles communautaires autres que celles contenues dans l’article 107 TFUE soit appréciée suivant la procédure prévue à l’article 258 TFUE (CJCE, 24 avril 1980, Commission c/ Italie, aff. C-72/79, pt. 12), la Commission doit suivre la procédure de l’article 108 §2 si elle souhaite constater l’incompatibilité de ce régime avec le marché intérieur, dès lors que celle-ci « accorde à toutes les parties intéressés des garanties qui sont plus adaptées de manière spécifique aux problèmes particuliers que présentent les aides étatiques (…) » (CJCE, 30 janvier 1985, Commission c/ France, aff. C-290/83).

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Dans l’arrêt du 18 juin 1998, Commission c/ Italie, C-35/96, la Cour a constaté une violation de l’Italie à l’obligation d’interdiction des ententes anticoncurrentielles figurant à l’article 85 CE (devenu 101 TFUE). Selon une jurisprudence bien établie (CJCE, 16 novembre 1977, GB-Inno-BM c/ ATAB, aff. C-13/77, et 21 septembre 1988, Van Eycke c/ Aspa, aff. C-267/86), si cet article concerne uniquement le comportement des entreprises et ne vise pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres, il n’en reste pas moins que, lu en combinaison avec l’article 5 CE, il impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Aussi, en adoptant et maintenant en vigueur une loi qui imposait au Conseil national des expéditeurs en douane « l’adoption d’une décision d’association d’entreprises contraire à l’article 85 du traité CE, consistant à fixer un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane » (pt. 60), l’Italie a manqué à son obligation de coopération loyale. L’utilisation exceptionnelle de la procédure de manquement de droit commun en matière de concurrence s’explique par l’impossibilité pour la Commission de se fonder sur l’article 90 §3 CE (devenu article 106 §3 TFUE) en l’absence de droits exclusifs (v. L. Idot, Europe, août-septembre 1998, n° 8, comm. 288, pp. 17-18).

 

JURISPRUDENCES PERTINENTES

CJCE, 7 juillet 2009, Commission c/ Grèce, aff. C-369/07

CJCE, 6 mars 2008, Commission c/ Espagne, aff. C-196/07

CJCE, 12 juillet 2005, Commission c/ République française, aff. C-304/02

CJCE, 18 juin 1998, Commission c/ Italie, aff. C-35/96

CJCE, 23 février 1995, Commission c/ Italie, aff. C-349/93

CJCE, 1er juin 1994, Commission c/ Allemagne, aff. C-317/92

CJCE, 4 février 1992, British Aerospace and Rover c/ Commission, aff. C-294/90

CJCE, 30 janvier 1985, Commission c/ France, aff. C-290/83

CJCE, 24 avril 1980, Commission c/ Italie 1980, aff. C-72/79

 

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages :

K. Lenaerts, I. Maselis, K. Gutman, EU Procedural Law, Oxford, Oxford University Press, 2014, spéc. p. 173 à 175.

J. Lotarski, Droit du contentieux de l’Union européenne : Paris, LGDJ, 5e éd., 2014, 227 p.

T. Materne, La procédure en manquement d’Etat : Guide à la lumière de la jurisprudence de la cour de justice de l’Union Européenne, Bruxelles, Larcier, 2012

M. Wathelet, et J. Wildermeersch, J., Contentieux européen, collection de la Faculté de Droit de Liège, Bruxelles, Larcier, 2010

Articles, Contributions à un ouvrage collectif, commentaires d’arrêts :

D. Blanc, « Chapitre 3. – Les procédures du recours en manquement, le traité, le juge et le gardien : entre unité et diversité en vue d’un renforcement de l’Union de droit » in Mahieu, S. (dir.), Contentieux de l’Union européenne, 1e édition, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 429-461

L. Clément-Wilz, « Une nouvelle interprétation de l’article 228-2 CE favorisée par le dialogue entre la Cour et son avocat général. Observations sur l’affaire Commission c/ France, arrêt du 12 juillet 2005 », CDE, 2005, nos 5-6, pp. 725-748

G. Decocq, « Concentration et recours en manquement – Nouvel épisode dans l’affaire E.ON c/ Endessa », Contrats, conc. consom., n°5, mai 2008

B. Masson, « “L’obscure clarté” de l’article 228 § 2 CE », RTDE, 2004, n° 4, pp. 639-668

A. Rigaux, « Manquement sur manquement : la France expérimente le cumul des sanctions pécuniaires », Europe, 2005, n° 10, étude 10, pp. 9-12

E. Traversa, « Arrêt important de la Cour de justice sur l’application des articles 5 et 85 du traité aux barêmes des honoraires des ordres professionnels », Competition Policy Newsletter, 1998, n° 3, pp. 17-19

Fascicule :

D. Simon, J.-Cl. Europe Traité, Fasc. 381, recours en constatation de manquement – Effets des arrêts de manquement. – Procédures spécifiques ; procédure de l’article 108 TFUE pt 35 ainsi que la bibliographie citée.